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La vérité sur Jacquot

Dans « Une Saison à Aix-les-Bains » Amédée Achard témoigne de la réputation des ânes d’Aix.

« Les ânes d’Aix sont les seuls qui puissent rivaliser avec ceux de Montmorency, les plus infatigables des animaux. Peut-être même leur sont-ils supérieurs au point de vue de la vitesse. Quand les ânes d’Aix-les-Bains s’arrêtent, c’est qu’ils tombent. »

Presque chaque année, avaient lieu des courses d’ânes, avec toute la pompe habituellement réservée aux courses de chevaux. Leurs renommée s’étendaient jusqu’en Angleterre.

Un reportage du « Leeds Mercury » du 5 Septembre 1863 nous explique déjà comment Madame Urbain Rattazzi, plus connue à Aix sous le nom de Marie de Solms, prit les ânes sous sa protection et organisa une course qui se déroula en présence de 3000 visiteurs.

Et il est vrai que les ânes aixois travaillaient très dur, transportant voyageurs et marchandises.

Il est certain que la Reine, dans les dernières années de sa vie, utilisait une petite voiture tirée par un âne, pour ses déplacements de proximité. Des photographies sont là pour le prouver, cependant elles montrent des ânes de différentes couleurs.

A Aix-les-Bains, en 1885, il lui était devenu difficile de se déplacer. Elle avait fait suivre une petite voiture, qu’elle pouvait atteler à un poney et qu’elle conduisait elle-même. 

En lisant son journal, nous nous sommes rendu compte qu’en 1885 elle parlait de pony chair, alors qu’en 1887 et 1890 elle faisait référence à donkey chair.

La légende de l’âne Jacquot est certainement la plus charmante des histoires relatives à la reine Victoria à Aix-les-Bains ! 

 

Que nous conte cette légende ?

Un jour, la Reine se promenant en landau, au bord du Lac du Bourget, croise un pauvre âne sous-alimenté, qu’elle prend en pitié. Elle l’achète sur le champ. L’âne, bien soigné, bien nourri est emmené à Windsor. De retour à Aix, reconnaissant l’écurie où il avait été si « bien traité », il s’y précipite au pas de course. 

Qu'y-a-t-il de vrai dans cette histoire ?

Que les deux personnages soient associés n’est pas une surprise !

Aix avait, en effet, depuis longtemps une solide réputation pour ses ânes !

Amédée Achard poursuit :

« La vie des ânes d’Aix se partage en deux grandes époques :

 l’été ils appartiennent à la fashion ; l’hiver ils sont la proie du travail. Coursiers pendant la belle saison, ils redeviennent de vrais ânes quand souffle la bise. »

Amédée ACHARD  Une Saison à Aix-les-Bains 1850

L’amour de Victoria pour les animaux était de notoriété publique !

 

Sa première monture fut un âne, dont son oncle le duc d’York, lui fit présent pour ses trois ans. On le baptisa Dicky. A travers les grilles de Kensington Palace, les passants pouvaient apercevoir la petite princesse chevaucher son âne paré de rubans bleus. 

 

Pour son quatrième anniversaire, elle reçut du roi Georges IV, son oncle, une invitation à lui rendre visite. « Oh, Maman, puis-je m’y rendre avec mon âne ? » demanda-t-elle, car elle était sûre que le roi serait content de la voir arriver ainsi.

En grandissant, Victoria devint une cavalière confirmée, délaissant les ânes pour les poneys puis les chevaux. La jeune Reine avait l’habitude de traverser au galop le grand parc de Windsor.

Cliquez sur l'image pour faire apparaître une photo de la Reine et d'un âne de couleur sombre au château de Windsor.

S'agit-il de Jacquot ?

 

Voici la petite voiture elle-même, qui est exposée, de nos jours, aux écuries de Buckingham Palace.  Remarquez la petite note posée sur le siège : elle indique qu’on utilisait ce véhicule pour distribuer les cadeaux de Noël aux petits-enfants royaux.

La version la plus connue de l’histoire de Jacquot est celle racontée par Xavier Paoli, que l’on voit en bas à gauche de cette photo, coiffé d’un chapeau melon. 

La République Française avait confié à Paoli la délicate tâche de veiller à la sécurité des altesses royales et impériales en visite en France. 

On le voit ici, en compagnie du roi de Grèce. Pendant ses années au service du gouvernement français, il constitua une belle collection de petits cadeaux, offerts par des aristocrates et autres monarques, ainsi qu’un fonds d’anecdotes, qu’il utilisa dans ses mémoires.

Ses mémoires furent traduites en anglais. On y trouve l’histoire de Jacquot, mais ses propos nous posent souvent problème, car ils sont pleins d’imprécisions.

Il prétendait avoir été au service de la Reine, à Aix, en 1887, et se vante d’avoir demandé cette année-là, au pape, l’autorisation pour la reine Victoria de visiter la Grande Chartreuse. Cependant, il cite une lettre qui démontre que c’est impossible.

Quant à l’histoire de Jacquot, il la situe à Aix en 1892 et parle de son retour en 1893 ; il se met en scène comme agissant en tant qu’intermédiaire pour négocier le prix d’achat de l’animal. Or en 1892  la Reine passe ses vacances de printemps à Hyères et en 1893 à Florence, puis elle se tourne vers la Côte d’Azur. Ce tour de passe-passe de Paoli a entretenu des malentendus et amené parfois à transférer l’histoire de Jacquot à Nice.

Par bonheur nous avons d’autres traces de Jacquot. La première photo connue de notre âne a été prise à Grasse en 1891. 

Quant aux autres témoins, leurs versions sont plus ou moins anecdotiques mais certainement plus rigoureuses que celle de Paoli.

« Un Français, qui était employé par la Reine à chacun des ses séjours, me surprit en s’exclamant dans un anglais récemment acquis « Voilà, Monsieur, l’âne qui arrive ! Mon Dieu, comme il est devenu gras en Angleterre ! » ... Il appartenait, en effet, d’abord à un pêcheur, qui en hérita à la mort d’un parent proche. Un legs de cette sorte, étant assez encombrant pour un homme qui gagne sa vie en pêchant …il était tout disposé à céder son héritage au premier venu. Il se trouvait  que la reine Victoria avait donné des ordres pour dénicher un animal qu’elle pourrait conduire elle-même, doucement et surement, sur les chemins tortueux de Tresserve et de la Dent du Chat. L’âne, qui aurait valu 2 livres seulement sur la place du marché de Chambéry, fut vendu 20 livres à la Reine. »

 

Et la même année, le 5 avril 1890, dans un article du Graphic intitulé « la Reine à Aix-les-Bains » on lit : « S’ensuit une sortie, pendant laquelle la monotonie de la promenade en landau est rompue par l’apparition de l’âne Jacquot et de son panier au pied de chaque chemin escarpé. »

Voici la Reine en promenade à Hyères avec vraisemblablement le même animal que celui évoqué à Grasse l’année précédente par Marie Mallet, une de ses demoiselles d’honneur.  

Grasse, le 30 mars 1891

« Je trottinais  derrière la voiture à âne de la reine . Dieu merci la bête est nonchalante et têtue. »

Puis, deux jours plus tard, une autre dame d’honneur écrit : 

 

Villa Victoria, Grasse, 1 avril  1891

« J ’ai passé une bonne partie (de la matinée) à courir derrière la voiture tiré par l’âne de Sa Majesté, à bout de souffle. L’âne démarre d’un pas ferme et assuré... Sa Majesté... est confortablement assise dans cette voiture, sous un grand parasol blanc. Juste derrière viennent les deux princesses, marchant vite, comme au pas de charge ; puis les deux serviteurs écossais... La Reine ne s’arrête jamais allant à vive allure jusqu’au bout de l’allée qui parcourt la colline (d’Alice de Rothschild), pour pénétrer ensuite dans les jardins d’une villa appartenant à un grand fabriquant de parfum. »

En Italie en 1893 et 1894

Les Italiens avaient fini par accepter les  Ecossais en tenue traditionnelle comme faisant partie intégrante de l’entourage de la reine Victoria.  Les serviteurs indiens et Jacquot devinrent ensuite leur nouveau sujet d’étonnement... qu’une Reine et Impératrice puisse utliser pour se déplacer un petit âne avec lequel elle était manifestement dans les meilleurs termes, dépassait l'entendement.

Le 11 avril 1890 un journal rapporte que les petits-enfants de Sa Majesté s’amusaient à monter son âne à tour de rôle.

Il faisait allusion aux enfants du duc de Connaught présents au côté de la Reine sur la photo d’Aix-les-Bains. De retour d’un voyage en Inde, ils poursuivaient leurs vacances  en compagnie de la Reine, leur grand-mère.

A.C. Aix-les-Bains

La confirmation que Jacquot est originaire d’Aix-les-Bains nous est donnée par Émile Leder, qui travailla à l’hôtel de l’Europe en 1885, puis au Splendide Hôtel en 1887.

« L’âne en question était Jacquot, de fameuse réputation à Aix, ayant été acheté à un paysan au Grand-Port, lors d’une promenade de la Reine. »

Certains récits parlent d’un âne gris ou blanc ; la reine Victoria utilisa bien un âne blanc ultérieurement à Nice, cependant la description de Jacquot que nous avons retenue est celle publiée, en 1893 dans un article de « The Idler » magazine qui donne des détails précis sur les nombreux animaux  domestiques de la Reine.

Sa Majesté utilise beaucoup ce véhicule qu’elle conduit elle-même sur ses propriétés. On y attèle un âne, extrêmement robuste et beau, nommé « Jacquot » ; sa robe est d’un brun très foncé, son museau est blanc et sa queue est bizarrement nouée. « Jacquot » qui est un animal très intelligent, bon vivant, avec une réticence au travail plutôt bien affirmée, accompagne Sa Majesté chaque fois qu’elle se déplace à l’étranger, sa prochaine destination étant Florence. 

L’article a été relu et corrigé par Sir Henry Ponsonby, le secrétaire particulier de la Reine, que l’on peut considérer comme très bien informé.

Il reste cependant un point à éclaircir : 

Pour atteindre le belvédère de la Chambotte, comme de nombreux voyageurs, la reine Victoria a-t-elle utilisé la chaise à porteur devenue légendaire ? Elle l'avait fait en 1868, en Suisse au Seelisberg, mais n'avait pas du tout apprécié l'expérience !

En 1885 et 1890, l'excursion à la Chambotte se fait par une belle et douce journée et la Reine prend le thé, dans son landau, comme à son habitude quand elle est en excursion.  

En revanche, en 1887, la bise souffle si fort qu’elle glace les promeneurs. Le 16 avril, des glaçons sont suspendus aux toits couverts de neige et le froid est si mordant qu’on décide de faire ouvrir l’auberge. La Reine atteint le belvédère et, après avoir admiré la vue, trouve refuge à l’intérieur où elle goûtera les scones de Mary Roberston.

 

D’après le journal de la Reine et « Court Circular » l’ascension finale s’était faite avec la petite voiture à âne. Mais qui sait, peut-être la Reine est-elle redescendue dans une chaise à porteur, comme le veut la légende ?

Voici une jolie vue du Grand Port à Aix-les-Bains. Nous caressons un doux rêve, celui d’y voir un jour une petite statue à la mémoire de Jacquot « l’âne du pays » qui ferait la joie non seulement des enfants mais de tous les promeneurs...

Un peu comme celui-ci !

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